Les bureaux de vote ont ouvert au Kenya, où 22,1 millions d’électeurs sont appelés aux urnes pour élire un nouveau président, ainsi que des députés et élus locaux. Un scrutin à forts enjeux pour la locomotive économique d’Afrique de l’Est.
Les électeurs kényans doivent voter six fois pour déterminer l’avenir politique de ce pays considéré comme un îlot démocratique dans une région instable, mais qui fut aussi le théâtre de graves violences il y a quinze ans. Depuis le centre financier jusqu’à des bidonvilles de Nairobi, ainsi que dans plusieurs régions du pays, de longues files d’attentes se sont formées dans la pénombre devant les bureaux de vote, qui ouvraient à 06h00 locales. « Je me suis levé tôt afin de venir et de choisir mon leader, qui amènera du changement. J’ai de l’espoir », a affirmé à Kisumu, grande ville de l’Ouest, Moses Otieno Onam, 29 ans, au milieu d’une foule joyeuse.
Le duel s’annonce serré entre les deux principaux candidats à la présidence, des figures du paysage politique. Raila Odinga, 77 ans, vétéran de l’opposition désormais soutenu par le pouvoir, affronte William Ruto, 55 ans, vice-président qui fait figure de challenger. Ce dernier a voté peu après 06h00 dans le village de Kosachei, dans son fief de la vallée du Rift, situé à une trentaine de kilomètres d’Eldoret. « Ce matin c’est le jour J », a déclaré ce fervent chrétien « born again » après avoir prié et glissé son bulletin dans l’urne aux côtés de son épouse. « Je veux demander à tous les autres électeurs (…) de voter consciemment et résolument pour choisir les hommes et les femmes qui pourront faire avancer ce pays ces cinq prochaines années », a ajouté Ruto.
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Nouvelle ère
Si aucun des deux adversaires, qui se connaissent bien pour avoir été alliés dans le passé, n’obtient mardi plus de 50% des voix, le Kenya connaîtra pour la toute première fois un second tour dans une élection présidentielle. Quelle que soit l’issue, le nouveau président marquera l’histoire en n’appartenant pas à la communauté kikuyu, la première du pays, qui contrôle le sommet de l’État depuis vingt ans et dont est issu le sortant Uhuru Kenyatta – que la Constitution empêchait de se représenter après deux mandats.
Mardi, les électeurs doivent départager un Luo, Odinga, et un Kalenjin, Ruto, deux autres importantes communautés du pays. Dans ce pays historiquement marqué par le vote tribal, certains experts estiment que ce facteur pourrait s’estomper cette année face aux enjeux économiques, tant la flambée du coût de la vie domine les esprits.
La pandémie, puis la guerre en Ukraine, ont durement touché ce moteur économique régional, qui malgré une croissance dynamique (7,5% en 2021) reste très corrompu et inégalitaire. « Nous voulons des emplois, des emplois, des emplois », insistait samedi lors d’un meeting de Ruto Grace Kawira, journalière de 32 ans. William Ruto, qui s’érige en défenseur des « débrouillards », a martelé son ambition de « réduire le coût de la vie ». Odinga a lui promis de faire du Kenya « une économie dynamique et mondiale », composé d’une seule « grande tribu ».
Spectre des violences
Historiquement, la composante ethnique a nourri les conflits électoraux, comme en 2007-2008 quand la contestation des résultats par Odinga avait conduit à des affrontements intercommunautaires faisant plus de 1.100 morts. Quinze ans ont passé depuis ces violences mais leur spectre continue de planer. En 2017, des dizaines de personnes étaient mortes dans la répression de manifestations, après une nouvelle contestation par Odinga des résultats du vote – finalement annulé par la Cour suprême dans une décision historique.
« Le Kenya vote, l’Afrique de l’Est retient son souffle », titrait samedi The East African. Mais cet hebdomadaire respecté ajoutait que « le Kenya a fait de grandes enjambées dans son évolution démocratique, et est en fait regardé comme une démocratie mature selon les standards régionaux ».
En dehors de rares incidents et d’un impressionnant flux de désinformation sur les réseaux sociaux, la campagne fut paisible et les deux favoris ont appelé au calme. Quelque 150 000 officiers doivent cependant être déployés à travers le pays. Lundi, la vie a mené son cours normal à Nairobi, même si la dynamique capitale semblait quelque peu alanguie, en raison notamment de la fermeture des écoles et du départ de nombreux électeurs vers leur région d’origine.
Des sources diplomatiques ont affirmé avoir bon espoir que le calme prévaudrait mardi mais ont insisté, dans ce pays marqué par la suspicion de fraudes, sur l’enjeu de la rapidité dans la publication des résultats. La Commission électorale, soumise à une pression extrême et qui a dû annuler lundi quatre scrutins locaux en raison notamment de problèmes d’impression des bulletins, a jusqu’au 16 août pour déclarer les résultats. Les quelque 46 000 bureaux de vote doivent fermer à 17H00 locales.
Source: Jeune Afrique